Maintenant le oui - Anne Kawala
 [un écho ici, et ici, et ici, et ici]
Anne Kawala - Paris - 3 Juin 2009
Quelque part une lutte - Sereine Berlottier
 [un écho ici]

quelque part une lutte s’éteint
feu assoupi
partagé  dans le noir
quand sous la lumière
seul
chauffé
ceux qui tremblent
ceux qui caressent
ceux qui fondent
dans la lumière
(cette lumière)
ceux qui déglutissent avec une râpe
plantée au fond
ceux dont la main
crispée sur le pantalon
étreint une main invisible
ceux qui
sont ailleurs ou bien ceux
qui sont restés sur le bord et ceux
que la tristesse d’avoir failli
accable ou qui cachent
en marchant sur les pavés une joie
imprécise à l’odeur de pomme salée et ceux
qui veulent mourir
dans pas longtemps
sans savoir qu’ils sont assis près de
celui qui a déjà choisi une date ou encore
(différemment)

Sereine Berlottier - Paris - 22 Mai 2009
Maintenant le oui - Fred Griot
 

maintenant le oui
le oui oui
au ciel haut
aux bêtes mortes
aux landes ouvertes
aux terres froides
au rocher rude

au souffle
à la parole parole
à la parole respire
par le tube à souffle
aux lichens verts jaunes
aux ruisseaux froids
à la parole bête
à la parole de bêtes

au maintenant
maintenant le oui
aux marches
aux pas aux pas
aux pas encore dans la lande froide
aux pas dans la sente sentier
aux pas au rythme des pas
au rythme des pas et parole
au silence des pas
au silence des pas
dans la lande froide

le oui au corps marchant marchant
marchant encore
le oui à la boue
le oui à la lumière haut
le oui à la boue ici lumière haut

le oui à la pluie
le oui à l'orage sur la peau du visage
et au brouillard oui
aux buées de forêts
aux buées de sommets
aux buées de mers
le oui aux bêtes

le oui à la viande
au corps fait viande
à la parole faite viande
à la parole comme souffle frais
de viande
et oui pas autre chose
à la lang viande
à la lang hurle
à la lang dans la lande dans la marche
dans la viande faite marche

à la lang toute éteinte
trouée trouée
immensément trouée
terriblement trouée
si joliment trouée
et pleine oui de silence
maintenant oui le silence
le plus rien le enfin plus rien
dans la lande froide
maintenant

maintenant
le oui au seul
au bosser seul
au bosser seul sur le trou de ma table

au silence tout là
dans les trouées
à travers les trouées
sacrées trouées
et pourtant pas là
pas encore là
jamais tout à fait là
jamais

le oui parce que toi telle que
le oui parce que toi telle que dans la nuit
le oui parce que toi telle que dans l’aube quand
oui parce que toi telle que tu sois
oui parce que soi telle que toi dans le
oui parce que toi telle que oui
oui parce que toi
dans la
quand toi tu dors là dors
oui parce que toi lorsque
dans la nuit aube jour dors jusqu’au jour
oui parce que toi
quand le sol la lum sur ton visage
quand toi
oui
oui parce que toi tel que parce que toi oui

le oui
le oui ouvert
le oui sanglant ouvert
le oui ouvert grand
le oui accepte
le oui sans plus de lutte
le oui sur l'abandon
construit sur l'abandon
le oui grand
grand ouvert
le oui d'accueil
le oui d'ouvert
le oui d'accepte
le oui c'est
c'est
it is
juste là
oui c'est

le oui
maintenant le oui
au souffle

Fred Griot - Paris - 7 Janvier 2010
 [un écho ici, et ici, et ici, et ici]

NOUS N’ÉTIONS RIEN qui
pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air
ocreux ni tout à fait serein l’odeur
noire des rêves éparpillés doucement nos mains doucement
frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun
nom volontaires aux silences si étroits comme si
les murs les muscles les
syllabes comme si nous avions soudain choisi quel froid circule dans les vertèbres quelle lumière soudain
branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies
si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns
contre les autres reste que nous prenions
nos rires pour de l’acide de minces filets d’orgueil à nos squelettes
pendus.

 

NOUS N’ÉTIONS RIEN glissant au-dessus
des cimetières parcourant la planète et son disque électrique métal silex sa face soudain changée soudain
mouvement nous étions
mobilité circulation vitesse et néons
qui vibrent sous les ongles sous les paupières moteurs rouages huile graisse carburant un assemblage de muscles tendons os cartilages articulations
parlant la langue du côté où
nous marchions en compagnie des morts le sang vibrant collé
au sommeil verticale notre circonférence vertical le corps
indéchiffrable vacillant dans le vent déployé ainsi qu’une
perte arrachant de la force à l’inerte complices peut-être d’un jour
nouveau perchés haut hors
de toute crainte ignorant
quand cela commença.

 

NOUS N’ÉTIONS RIEN c’était
il y a longtemps nous gardions chaque os
pour l’avenir faisions métier
d’ignorance dos ployé sous le poids de l’histoire vêtus de sang tourbeux caillots
d’argile nous sauvages oui astres plus que transparents avions appris à faire danser
nos dépouilles ne prêtant que notre ombre agrippée
à l’air sans le savoir en équilibre sur
un autre versant du temps disparaissant à l’angle du ciel aveugle jours après
jours aveugles plus lucides d’avoir un oeil en trop nous chantions attentifs
à la trace des dieux enfuis mais pour
qui pour quel peuple animal bêtes non fictives meutes menées
à l’équarrissage dépecées
proies toujours
en ligne de mire et dans la nuit
du monde nous disions le sacré.

 

NOUS N’ÉTIONS RIEN l’espace avait fui
nos parages nous riches d’un savoir
accablé tenions registre des dates portions cicatrice
des événements tatoués sur notre
tatouée notre mémoire nous n’avions qu’à
bégayer bégayer sans cesse pour parler de notre temps les mots quelque part avaient rompu
la digue il ne restait que quelques consonnes des sédiments narratifs limons essaim de formes surfaces
effacées et nous inéluctables inouïs cherchant dans la trame des siècles un avenir
possible noyés engloutis dans l’idiome emportés par la houle échouant sur la rive d’une
rencontre peut-être à bout de
souffle se taire pour sortir du silence se taire endurer
la désorientation de l’époque
dire cela dire
la cécité toujours pareille articuler en un balbutiement quels noms quels mots pour quels morts et nommer quel
désastre un naufrage une farce peut-être
l’unique assignation
:
penser et panser.

 

NOUS N’ÉTIONS RIEN il y avait
de la terre en nous et nous
creusions creusions dressant nos volontés comme à l’assaut
de quelle falaise quelle enceinte quelle cime au
hasard n’obéissant à aucune loi aucun ordre nous enfantions
des bombes franchissions des portes allant de seuil en
seuil en travers de la poussée du temps qui nous porte infailliblement
à l’échéance
n’étant que des hommes dépouillés
de ce que nous possédons encore de destin nous arpentons
les terres étrangères couverts
de nuit où allons-nous
nul ne le sait mais
comme il fait sombre.

 

NOS GESTES ÉTAIENT DE PIERRE nous avions appris
nos douleurs par coeur notre espoir tournait tournait où
sommes-nous que sommes-nous
devenus maintenant peut-être
eut-il fallut plier l’échine l’époque est à son comble la guerre
guette mais nous sommes inlassablement sur la piste de ce que nous supposons être
habiter le présent
nous remplissons de notre légère existence les objets que nous touchons mais nous ne savons pas
ne savons pas quel territoire
défricher quel horizon
donner à nos espoirs.

 

NOUS ÉCRIVIONS sur des murs
de prisons parlions à travers les canalisations à d’autres comme nous
incarcérés
vint une parole un regard vint
à travers la nuit vint
et voulut luire
luire rien n’est rien n’est
perdu saisissant l’insaisissable nous bâtissons d’écume lumineuse ce qui
demeure ce qui survient toujours comme un
événement nous adressons aux morts des saluts amicaux d’un geste
tendre nous les enveloppons de paroles
réconfortantes ne sommes-nous pas égaux debout sous un même gibet étrangers cependant les uns
aux autres portant fardeau
de silence.

 

NOUS ÉTIONS VAPEURS devenues
figures dans la lumière à chaque bouchée du visible une invisible
bouchée nous était donnée avec chaque vêtement visible un invisible
vêtement tout est chute nous
tombons dans la poussière la boue flocons légers copeaux fragments nous tombons et nous
relevons nous tombons toujours plus loin jusqu’aux étoiles et
nous relevons encore c’est ainsi que nous vivons en guerre
contre la guerre nous étions nous sommes cibles prenant d’autres pour
cible nos bouches crachent pierrailles et gravats il nous faut
fuir les incarcérations fuir
les éloquences frelatées
nulle défaite n’est
possible car
jamais nous n’avons désiré vaincre.

 

NOUS SOMMES ALLÉS sommes
allés au devant de nous-mêmes ne craignant ni la fatigue ni
les épreuves nous cherchons asile pour nos exils intérieurs des replis
stratégiques traversant des nuits plus nocturnes que la nuit tel
qui marche et déploie son pas nous avons vu
les usines désaffectées vu
les autoroutes en friches vu
les industries pétrochimiques usines à gaz centrales électriques réacteurs nucléaires vu
la domestication des êtres le contrôle des flux migratoires le bitume
brûle nos semelles respirer notre seule vertu respirer non pas
un renoncement respirer
sans heurts sans déchirement du temps certains
attendaient la promesse d’un parler
insoupçonné mais personne jamais
n’est venue personne
n’a entendu l’appel.

 

LES TORTIONNAIRES OUVRAIENT des plaies
au fond des océans nous n’entendions
pas le cri fermé dans les mâchoires déchiquetées des poissons ni
les soleils décapités nous jetions à terre leur noble sang il n’y avait plus de nom pour ce qui poussait maintenant
la verdure nous l’aimons exubérante et grasse les animaux
couleur de mousse même les pierres nous les serrons dans nos bras comment
sera l’amour à la fin des nuits à la clarté des astres devenus
transparents sera-t-il délivré inscrit dans le signe stellaire des constellations de paroles qui
s’envolent et disparaissent
disparaissent dans le silence lui-même volant et
disparaissant et son bruit se résorbe et
se mue en pierre.

 

ÉTRANGERS DANS LA LANGUE écartelés
entre deux siècles les pieds au nord du futur nous savons
le goût du désastre où quelque chose de stellaire a disparu puisqu’on ne peut arrêter
la chute des astres et sur nos lèvres la cendre qui fut s’élevant des hautes cheminées où désormais s’étend
notre responsabilité la mort
nous fauche-t-elle dans l’indifférence ou bien
en nous parlant doucement avec autant d’amour
qu’elle peut expliquant ce qu’elle fait
et
pourquoi elle le fait et se dérobe-t-elle
la terre sous nos pieds faute
de l’avoir aimée.

 

NOS CORPS sont devenus
syntaxe il nous faut déchiffrer la physique
des rêves notre conscience est-elle autre chose
qu’une banderole de brume et de silence pendant
les grandes poussées de gel un portrait de sang sur la neige qui fond à la lumière
du jour ne sommes-nous pas
éleveurs de poussière gardiens d’une parole fidèle contagieuse et
qui prolifère n’avons-nous pas
vive et tenace la passion du réel
imprenable est notre forteresse longtemps
nous avons lutté longtemps
nous sommes restés debout guettant
dans le mugissement de la masse poreuse du temps
le bruit qu’il fait et
comme il se déchaîne comme il
déploie sa science.

 

AFFAMÉS D’UN AMOUR vrai mais
trop beau nous sommes allés au bout de la réalité rampant
en compétition avec la pourriture suivant
le long chemin qui conduit dans le noir
libres de toute
prière couvés par le soleil nous nous sommes réfugiés dans la tanière du sommeil nos
visages s’évaporaient il nous fallait
traquer les signes traquer
revolver au poing les fossoyeurs du sens produire
des formules inédites frottant
nos grammaires comme pour y mettre feu élaborant des fictions indéchiffrables frayant un passage entre
silence et discours saisis
d’un haut frisson au seuil de l’événement
inadvenu.

 

NOUS CONTEMPLONS dans un éblouissement
le spectacle du temps le corps
de l’histoire devenu mobile sous nos yeux les
spectres immenses que les siècles ont laissé dans l’espace et ce sont
des nuées la poussière remuée des enfers un abîme ouvert entre les univers une vibration
de photons et d’atomes qui tourbillonnent et se matérialisent dans un rayon de soleil
où est conservé ce qui a disparu derrière le temps
où sont les cris désespérés que poussent les torturés avec des voix d’enfants
où sont les cendres de ceux
qu’on a brûlé en masse les porteurs de secrets
où sont-ils ceux
qui n’ont pas été ensevelis ceux
qui n’ont pas été dénombrés les enfants
non-nés que nous avons aimés les fils
invisibles nous laisseront-ils nous reposer dans nos blessures
ressentir un tourment
semblable à de la joie.

 

LONGUE FUT L’ATTENTE en ces temps
de détresse il y avait tant de haine en nous qu’on aurait pu la nommer
amour de nouveau
nous cherchons une vérité à hauteur d’homme une pensée
dangereuse et transformatrice du réel il nous faut
tout inventer jusqu’aux atomes trouver
un nouvel imaginaire des formes éblouissantes ajouter
des pays des mers différentes les changements de soleil des danses des chants de la musique des coups et
frappés de stupeur contempler
les paysages rêveurs dans les yeux des rescapés le ciel fatigué les arbres tuméfiés les roches bondissantes au visage regarder
ce qu’on ne voit pas avec nos yeux aveugles quand
une dernière fois la nuit rassemble
ses forces pour vaincre
la lumière.

Christophe Manon - Paris - 6 Janvier 2010
Maintenant le oui - Jacques Demarcq
 [un écho ici]

Main tenant le oui
me tire l'oreille, ouïe
mais ne tient rien, non

Le oui le joui
troublants trublions
bon
dissent sur le pré
cis pré
sent le pres
sant de s'ou
blier ébl
oui
koui koui koui
 

Jacques Demarcq - Paris - 4 Mars 2009
Dans la terre - Joëlle Mesnil
 

J’avais beau creuser la terre avec mes mains, je n’ai rien trouvé.
J’ai regardé la prairie autour de moi. Il n’y avait pas de doute.
C’était là.
Sauf qu’il n’y avait rien.
Je n’arrivais pas à y croire.
Je les avais enfouies au pied d’un buisson à deux mètres d’un pommier deux ou trois semaines avant la visite et je ne les retrouvais plus.
Ce n’était pas possible.
Les trois pommes avaient disparu.

J’étais hébétée.
Dès son arrivée, je l’avais tiré par la manche sans rien dire et il m’avait suivie jusque là. J’étais sûre de mon effet. Il ne savait pas ce qui allait se passer et quand je me suis accroupie, j’ai imaginé sa tête quand je me relèverais pour les lui offrir. J’avais bien préparé mon exhumation. J’avais un secret et il serait le seul à le partager. Plus encore : ce secret, ce n’était que pour le lui révéler que je l’avais inventé .
Là-bas, je n’avais rien à moi et soudain l’idée m’était venue : la terre !
La terre était à tout le monde et moi, j’y enfouirais un trésor que je pourrais déterrer au moment voulu.
Ce n’était pas seulement des pommes. C’était vraiment quelque chose d’extraordinaire dont il  saurait sûrement apprécier la valeur. Quelque chose qui n’avait pas de nom.
Forcément, il n’avait jamais vu ça. Les pommes, oui bien sûr, il connaissait, puisque comme moi, il était né en Normandie et qu’il y avait passé toute son enfance et une bonne partie de sa vie d’adulte. Mais pas des pommes attachées par un fil de laine rouge.
C’était un de mes jeux préférés : j’attachais à la queue d’une pomme un fil d’une vingtaine de centimètres de long et je faisais tourner ma pomme frénétiquement jusqu’à décrire dans l’air un grand cercle rouge.
Celles que j’allais déterrer, je les ferais tourner devant lui les unes après les autres et il ne saurait même pas quoi dire parce que ce qu’il verrait alors dépasserait tout ce qu’il avait pu imaginer sa vie entière.

Mon père attendait debout et soudain la prairie est morte.
Il n’y avait plus qu’une image parfaitement plate. L’herbe s’était figée. Les arbres étaient plus immobiles qu’ils n’auraient dû l’être. Le vent était tombé. Les oiseaux avaient cessé de chanter. On entendit un silence d’avant l’orage.
Ma déception fit tomber mes bras. Je regardais tout autour de moi, sans savoir où m’arrêter.
Je ne pouvais pas accepter.
Je fis l’hypothèse d’une erreur. J’avais dû me tromper de buisson. Je cherchai un autre endroit à creuser mais je ne trouvai aucun indice. La terre n’avait jamais été remuée, ce ne pouvait pas être là. Et mon hypothèse était juste rationnelle. Je n’y croyais pas moi-même.
Mon inquiétude ne fit que croître.
Et là où j’avais creusé en premier ? La terre n’ était-elle pas aussi intacte, aussi fermée depuis toujours qu’ici ?
Je n’avais tout de même pas inventé !
Je voulais lui prouver que ces pommes avaient existé. Que je les avais enterrées pour lui.
Je ne trouvais rien de convaincant.
Je sentis pas loin une folie.
Je ne pouvais plus bouger mais je me mis intérieurement dans tous mes états.
Où étaient-elles passées ?
Elles étaient forcément quelque part.
Elles occupaient nécessairement  une place dans le monde. Des pommes ne disparaissent pas comme ça quand on les enterre. Si un animal les avait mangées, il serait resté quelque chose de son passage. Un désordre dans la terre. Un peu de fouillis. Quelque chose de visible. Un bout de laine rouge.
Je voulu croire au miracle et je me remis à creuser n’importe où et n’importe comment avec l’acharnement d’une bête. Je m’abîmais les doigts.
Il crû m’apaiser en m’assurant que cela n’avait aucune importance.
Et cela eut pour effet de décupler ma rage à vouloir le convaincre.
Non seulement ces pommes, je les avais réellement enterrées mais un tel geste était à coup sûr le plus juste et le plus lourd de sens qu’il avait été donné à mes six ans d’existence d’accomplir.

J’ai oublié comment se termina cette journée de visite.
Je sais seulement que cette année là, plusieurs évènements eurent lieux qui me confrontèrent d’une façon ou d’une autre à une incompréhensible disparition.
 

Joëlle Mesnil - Paris - 14 février 2009
Maintenant le oui - Sylvain Larquier
 

maintenant le oui

j’ai posé ma main
sur la grille du radiateur
dans notre chambre
et c’était chaud
chaude et douce surprise
bien sûr j’ai regardé par la fenêtre
un radiateur chaud
une fenêtre
rien de spécial à voir
on ne sait jamais
le platane qui se défeuille
plus vite que les autres
c’est le premier de la rangée
c’est normal mais
c’est remarquable
les travaux inachevés
sur le boulevard
les autos qui passent
les fenêtres en face
des ombres chinoises
des silhouettes
les clignotis bleuâtres des télés
rien en somme
comme quand on s’ennuie
qu’on attend que ça passe
l’élève au fond de la classe
à coté du radiateur
qui regarde par la fenêtre
la cour
vide
puisqu’on est en cours
et qui se dit
quand la cour est pleine
j’y suis dedans
j’y suis dedans
 
maintenant le oui

la table était la même
la tasse identique
aux autres tasses
de café
en café
de café
en café
cherchant la grâce
grâce générique
qui tue
noue
je vous aime

le soleil était là
tachant d’or les murs
les rideaux fins
aux fenêtres
aux fenêtres
aux fenêtres
il faut naître
n’être à la fin
qu’un sombre murmure
je suis là je suis là

la rue parlait son bruit
refrains agréables
quand on s’éveille
à la vie
à la mort
à la vie
à la mort
la mort qui veille
dessous notre table
quand on rit elle bruit

je regardais mes doigts
caresser la tasse
toucher la table
où j’écris
où je crie
où j’écris
où je crie
des mots de sable
des mots qui se cassent
dés qu’enfin je te vois


 
maintenant le oui

je connaissais parfaitement
le pavement du trottoir
l’écart entre le caniveau
et le garde-fou
de la bouche du métro
le feu de signalisation
le passage clouté
je connaissais parfaitement
le temps
car cet instant était solide
je possède
un morceau de ce temps
je connaissais
le froid
la fatigue
l’ivresse
et bon nombre de mots
inutiles
je connaissais
ta main
parce que je la tenais
mais pas parfaitement
je voulais tant la connaître
j’y mettais tout mon coeur
pour connaître ta main
je connaissais la rue
que nous regardions
qu’on allait traverser
je connaissais la rue
parce que j’aime la rue
j’aime la ville
je connaissais le
je connaissais la
parfaitement
et tu m’as embrassé
et je t’ai embrassée
nous nous sommes embrassés
parfaitement

 
maintenant le oui

mes mains
mes mains sont posées
sur le drap du lit
tout au bout de mes bras
qui reposent
de part et d’autre de mon torse
posé
sur le lit
mon torse lourd
torse de métal
ma tête de plomb
tenue
au-dessus
la douceur
quelle douceur
je sens de la douceur
c’est une caresse
mon pouce caresse
le drap
il est doux
tout doucement
mon pouce lape
la douceur du drap
je me rends compte
maintenant
de la douceur du drap
de la douceur de la peau
de mon pouce
de mes doigts instinctifs
qui tout seuls ont su retrouver
là-bas
au bout de mes bras
une minuscule plage de douceur
suis-je distrait
je rêvais à la douceur de ta peau
un bref instant de volupté
à fleur de peau
le pouce de ma main droite
au bout de mon bras
posée loin là bas
sur mon lit d’hôpital

 
maintenant le oui

dessiner le soleil
pourquoi pas
du bout des doigts
sur ton dos
tout près
tout bas
dessiner le vent
qui tourne autour
de la pointe de tes seins
qui tourne et va
glissant
sur la plaine de ton ventre
dessiner l’océan
qui s’ouvre de tes cuisses
dessiner l’amour
pourquoi pas
te dessiner toujours
avec mes doigts

 
maintenant le oui

hier
je serais tombé
mais le soleil
m’a retenu
je serais tombé
la chute ne s’est pas faite
car le soleil m’a retenu
je suis resté
suspendu
éternellement
suspendu
dans le vertige
car le soleil m’a retenu
dans le vertige
je suis resté
je reste
suspendu
dans le vertige
je plonge
je plonge sans arrêt
mais le soleil m’a retenu
le soleil
tes yeux
ce que tes yeux regardent
 

Sylvain Larquier - Paris - 29 Janvier 2009

Pages

Subscribe to Syndication