Qui chante ? Qui chante ici ? Un air secret, obsédant comme un jeu d’enfants.
On croit parfois que le vent souffle dans les ramures, mais ce sont les morts soucieux qui nous bercent de leurs chansons.
Que ferons-nous lorsque tout sera brisé ? Danserons-nous parmi les ruines ? Pleurerons-nous ? Trouverons-nous dans les décombres quelque chose à pleurer ?
Serons-nous seuls ? Enfin seuls ou environnés de fantômes ? Serons-nous dérangés par le bruit de leurs pas ? Par leurs murmures incessants ? Valserons-nous au rythme de leurs chansons ? Les morts souriront-ils de nous voir ainsi nous acharner à danser parmi les ruines ? Le sourire des morts accompagnera-t-il notre danse ?
Passerons-nous inaperçus au pays des morts si nous dansons en silence, retenant notre souffle ?
Mourrons-nous au matin après une nuit d’amour ? Est-ce qu’ainsi enlacés, nous passerons de l’autre côté dans le bruissement d’une feuille déchirée ?
Oublierons-nous que nous avons été vivants, que nous le sommes encore, même si nous ne comprenons plus le sens des mots. Même si nous ne percevons plus la pulsation de nos cœurs ?
À quoi rêverons-nous lorsque nous serons morts ? Sourirons-nous dans la nuit ? Comprendrons-nous enfin le sens d’une feuille tombée sur le sol ?
Saurons-nous nous aimer, sans gestes, sans mots lorsque le vent sera notre souffle, que la pluie remplira nos orbites ?
(Nos yeux ne verront plus, mais nous nous sourirons encore.)
Vivrons-nous à l’ombre des vivants comme on repose au pied d’un arbre ? L’ombre d’un arbre mort est-elle morte elle aussi ?
Aurons-nous encore un nom dans la mort ? Les morts ont-ils un nom ? Qui nous appellera, qui nous nommera lorsque nous serons morts ?
(Une bouche s’ouvre sur le silence. Pour ne rien dire. Pour sourire.)
Attendons-nous la mort pour nous mettre à chanter ?
Rirons-nous, nous aussi de voir les vivants tourner au rythme de nos chansons ? Danserons-nous avec eux lorsque nos pieds ne fouleront que le vide ?
Nous comprendrons-nous en transparence ?
(Un bruit lointain, un souffle à peine. On pourrait croire que la brise se lève, mais les morts soupirent parfois bien avant la nuit.)
(Une ombre allongée au pied d’un arbre nous sourit doucement. Nous invite à nous coucher auprès d’elle.)
(Une bouche close sur le vide.)
La mort est-elle le reflet, l’envers du temps ?
Et s’il n’y avait rien, je veux dire rien avant la mort. Seulement un après. Et si nous étions morts, tous. Si nous ne le savions pas parce que nous avons tout oublié de nos vies ?