Mon amour,
cette déclaration
t’est adressée
en temps et en heure
soit
sans tarder
sans attendre
sans nous méprendre
sur nos natures amoureuses
de suite,
à chaque instant
du présent et de l’avenir,
toujours.
Valentina mon amour,
dès notre prime croisement
nous avons réalisé
l’amour entre nous.
L’amour,
entre nous,
il nous a suffit
de lui donner
forme et vie.
Fairel’amour,
mon amour
c’est vivre
joyeusement et vivement
la sensation de nous préparer
toujours
à la continuation de notre
heureuse histoire d’amour.
Valentina sans cesser,
tes sentiments pour moi
seront mes pensées pour toi
et
mes sentiments pour toi
seront
mes pensées pour toi.
Valentina, sans cesser,
nous serons l’un pour l’autre
tout et rien ou tout comme rien.
[Beginning of love, musique: Juan Carlos Pellegrino; Je deviens la robe, musique : Adriana Garcia Galan]
Chants de construction
Deuxième volume : Triomphes et défaites
SAISON 4. ESQUISSES D’UN JE (EXTRAITS)
Je m’appelle Platon.
Je suis Platon.
J’ai inventé Socrate
et Socrate m’a inventé.
Je suis Platon
et j’ai été esclave.
J’ai été libre et esclave
toujours libre,
parfois esclave.
Je suis Platon et
j’ai joué des concepts et métaphores :
que chacun en joue autant !
Je suis Platon
et aime aux points où j’ai aimé,
à ceux où je me suis battu
pour la liberté et l’égalité.
Je suis Platon ;
je change ou ne change plus.
_
Je suis et vis dans des mondes
aussi admirables
que n’importe quels autres.
J’aurais aimé vivre
l’époque de l’Homme de Néandertal
cheminée sur cheminée,
boîte de conserve contre décapsuleur,
ordinateur gonflé aux ondes télépathiques.
Je suis un homme
à cheval sur
le XXe et le XXIe siècle.
Je vis dans un pays :
la France.
J’aurais pu vivre
partout
ailleurs
sauf que je vis là,
en cette époque-ci.
Je vais et je viens.
Du travail, j’en ai :
mal payé, je suis exploité ;
il est absolument faux
que je puisse exercer
mon existence
comme je l’entends.
De l’amour ?
Enfin existant,
à 2
chaque jour
magnifique,
jouissif et multiple,
tel qu’un amour de tout temps :
je le tiens !
je ne vais pas le lâcher !
Une politique émancipatrice ?
Inutile de tourner
le couteau dans une plaie béante.
Une éthique ?
Je produis nettement plus
que je ne consomme,
démystifiant la moyenne
des morales matérialistes
jusqu’à aujourd’hui.
Je m’honore parfois de cette
simple et seule autonomie-là.
Je sais qu’il me faut commencer
et conçois mon être économique.
Je viens tout juste de naître.
_
Si une partie des êtres humains
s’emmerde
au lit de ses espoirs battus,
éteints les uns après les autres
jour après jour,
profondément affectée
par un demi sommeil enthuné ;
si les êtres humains
se satisfont du bourdonnement têtu
des rumeurs orchestrées
ou des diktats politiques
alors je suis autoproclamé
inhumain,
intégralement inhumain
de chaque zéro à
autant d’infinis requis
pour me différencier enfin
de la masse des actions monnayées
sans liberté.
Si les êtres humains
s’ennuient ensemble,
si certains ne supportent pas les femmes
pas les hommes
pas les noirs
pas les enfants adoptés
pas les etc.
alors je ne suis pas humain, je suis inhumain,
je suis celui qui est humain contre les inhumains,
je suis celui qui d’un nous fait un je
et d’un je un nous
car nous sommes plein,
des milles et des cents,
en réalité des milliards
à en avoir assez,
marre,
basta,
prêts à coopérer
prêts à accepter et embrasser
nos différences
au quotidien de leurs joies et de leurs peines
au firmament des exceptions et des répétitions,
au fritage des luttes et des extases,
au multiplexage des récupérations et des recyclages,
de but en blanc.
Nous sommes partout dans le monde,
nous sommes du monde entier.
_
SAMEDI 4 FEVRIER 2006, IL EST 17H FRAPPANTES
Voilà ce qu’il y a et
Voilà ce qui se passe :
J’ai peur. J’ai peur de
Ce monde qui s’emballe
Ce seul monde-là, hagard et insouciant,
Il devient fou de haine, de haine,
De mépris et de dédain
A nous entraîner tous,
Les uns avec les autres, les uns ou les autres,
Les uns comme les autres, tous
Autant que nous sommes,
Dans son délire guerrier.
S’il s’agit de se battre
Nous choisirons notre camp
Portés par de grandes et belles idées.
_
C’est à même la rue,
dans les bars
ou sur quelque piste de danse,
schèmes de l’anonymat,
à la merci
des tout qui se prennent
pour
du rien inaccessible
que je flingue
trois ou quatre neurones
plus vite que de coutume
mais certainement pas
sur les scènes demeurées en lieu et place
des situations affligeantes,
garantes de l’ordre du moment.
Quelques chants de lutte
finiront bien par renaître
de nos cendres tourmentées.
_
Mon temps est de production,
de consommation et d’accumulation,
d’asservissement et de coupes sombres.
Mais mon temps est aussi de poésie,
d’émancipation et de lumières,
de singularités multiples,
à peine éveillées.
Mon temps est de présent et de demain ;
mon temps présent poésie.
_
??? est alternativement
L’ATONIE DU MONDE
et
LA TORPEUR DES MONDES,
toutes deux quasi parfaites,
vivaces et tenaces.
Interpellée par LE CIEL constatant sa solitude dépressive,
??? manifeste
un sursaut d’orgueil.
— Un jour l’espace mental deviendra celui
d’une humanité en marche
aussi vaste que possible
aussi vaste qu’effectif
aussi vaste qu’imaginable
puisant aux sources de l’infini banalisé
la motivation de ses puissances renouvelées
immortelles et inépuisables.
Un jour l’espace mental deviendra celui
d’une humanité en marche
aussi incommensurable
à l’état du monde actuel
que le sont les êtres humains à celui
de leur représentativité politique
abandonnée aux mains de nouveaux privilégiés
entièrement séparés des peuples.
_
Désormais, plus rien
ne m’est donné.
Désormais, je n’ai plus aucun
rapport aux mondes
prédéterminé.
L’univers existe et
je trouve les moyens de me réjouir
de mon existence concomitante.
Je le sais : l’un de nous deux
pourrait ne plus exister
n’avoir jamais existé.
Désormais, la joie
qu’il y ait
quelque chose
plutôt que rien,
quelque chose en particulier,
m’est totalement et définitivement
étrangère.
Désormais nous serons
aussi présents que vivants
sans amour qu’avec amour,
sans univers qu’avec univers,
sans sujet qu’avec sujet,
sans rien qu’avec rien,
et ainsi de suite.
Désormais nous forgeons
notre propre connaissance
des mondes
dans lesquels nous existons
sans aucun doute.
[Extraits de AGO, portrait séquencé de Tony Chicane.]
1. RESTES D’UNE DESTITUTION
1.1.1.
Il y a quinze ans je m’appelais encore Pravimé Lubova.
Depuis, mon nom a changé.
Née partiellement déniée et prématurée en Ethiopie,
j’ai grandi dans mon premier pays : la Bulgarie de Todor Jivkov.
Je vis et travaille dans mon deuxième pays : la France
actuellement de Nicolas Sarkozy.
Passée d’Est en Ouest sans trop savoir pourquoi
je fus considérée
noire en Bulgarie en raison de ma peau mate ;
je dus souffrir ensuite longtemps
le droit de demeurer en France.
Aujourd’hui tous mes papiers sont en harmonie ;
y sont inscrits mes nom et prénom nouveaux :
Tony Chicane.
1.1.2.
Il y a une centaine d’année ma famille était l’une des plus riches,
des plus riches et plus connues,
de Sofia ; j’ignore précisément et toujours comment.
Riches puis destitués de leurs biens
lorsque fut institué un régime communiste,
les membres de ma famille durent un à un composer
avec les nouvelles conditions communes
sans jamais devoir apprivoiser la misère.
A l'exception de quelques centaines de grammes d’or
fondues par le frère de mon grand-père,
emprisonné pour cela,
et les revenus bien vite taris de menues valeurs placées en France,
le patrimoine familial entier fut accaparé
par l’Etat nouveau qui exhorta les enfants de ma génération
à être « Toujours prêt ! »,
mais toujours prêts à quoi ?
Du capitalisme, de l’argent, de leurs mécanismes,
jusqu’à présent tout ou presque m’échappe.
1.1.3.
Juste après la chute du régime proto-communiste,
confondu année après année à un Etat policier
avide de crimes élucubrés,
advînt la « grande restitution »
dans un bain de capitalisme étatique
devenu sauvage sous contrôle mafieux.
Les membres de ma famille encore en vie
commencèrent à récupérer leurs biens
par droit naturel, magouilles et batailles juridiques
menées ou non jusqu’à leur terme.
Les bribes de mon histoire familiale me concernent maintenant
de proche en proche moi qui partis,
l’ancien régime à peine effondré,
à la recherche d’un avenir émancipé
des objets enviés à l’Ouest,
des niveaux de vies sempiternellement mis en balance,
et d’un mimétisme dévastateur.
1.1.4.
Alors que je reviens à la Mer Noire
pour la première fois depuis treize ans,
plus que jamais j’estime
l’égalité politique et économique indispensable
entre nous tous êtres humains
habitants la Terre.
_
2.2.0.
J’ouvre les yeux :
{1} n’est pas plus effrayant que {2}
qui n’est pas plus effrayant que {20134i22353}
ou que la multiplications des nombres transfinis.
Allongé sur la plage qui jouxte l’île Besnard,
alors que je creuse le sable de mes pieds,
d’incroyables formes nuageuses
accompagnent de longs courriers
épanouis sur fond de vagues qui claquent.
Le vide est le leurre de l’argent du beurre.
Le vide, ça n’existe pas ; le vide, il n’existe plus
qu’au paradis des nombres.
Ce dont on a peur
c’est de se retrouver à la rue, sans logis, sans bouffe, sans argent,
et se sentir comme une merde
abandonnée au fond d’un chiotte
pas même emporté par un volant d’eau conçu pour ça.
Si y’a pas d’argent, y’a pas d’argent.
2.2.4.
Une bombe en date de la deuxième guerre mondiale
aurait-elle récemment éclaté et dévasté le sémaphore
encore à moitié planté au sommet de la presqu’île
dont les chemins tracés autrefois pour y accéder
sont maintenant entièrement couverts par des herbes sauvages ?
Aux jumelles, les vestiges trahissent plutôt un incendie
dont la nature est sans doute connue de tous les quotidiens du coin.
Préférer déclencher des guerres
entre gentilles personnes
aux états de paix lamentables
défaites du mépris, de la trahison ou de l’indifférence
entre gentilles personnes
ne m’aidera pas de suite à chialer
car je ne parviendrai jamais à formuler précisément
ma colère ;
être social je le suis.
Et si sur l’absolue nécessité parfois de déclarer la guerre
à mes ennemis
je pourrais gloser une éternité de fois,
j’arriverais invariablement à la même conclusion logique :
plutôt assumer les conséquences multiples d’une guerre dégueulasse
que vivre des aventures multiples
sans présent qui chante.
2.3.0.
Dans l’interminable file d’attente de la gare nouvelle de Saint-Malo,
je réalise une fois de plus notre idiotie commune.
Tels des animaux menés à l’abattoir par la boucherie industrielle,
nous tous sacrifions notre pouvoir économique et ses instruments
sur l’autel d’un temple de l’argent dont peut-être seulement
quelques-uns des plus malins savent le tabernacle vide.
La Commune, plaît-il, jadis a échoué
de ne pas s’être emparée de la Banque de France :
personne n’aurait-il donc retenu la leçon
d’une histoire qui dorénavant s’achète et se vend ?
Nous tous serons démocrates, égaux et libres le jour où
l’argent et ses mécanismes capitaux nous appartiendront.
Pour le moment… vite ! un guichet vient de se libérer ;
ma pensée mutilée s’active : il s’agit d’acheter deux billets
pour rentrer à Paris dans un TER bondé.
3.1.0.
La tête penchée par la fenêtre, je passe
des rues de Rome au dôme d’Alexander Nevsky :
toujours je reviens à Sofia.
Enfin chez moi !
Cela fait dix ans que je n’ai pas dormi chez mes parents,
peut-être parce que je n’ai pas de temps et donc pas assez d’argent ;
le temps m’échappe et d’autres en ont… plus que moi ?
Mais non ! Le temps, nous le massacrons en réunions
qui ne servent qu’à dégrader notre être économique même.
Dois-je alors persévérer pour ne pas réduire ma vie à un gain
mesuré par la fréquence de mes trajets entre mes proches et moi
ou rejoindre les méandres des multiples sonneries de réveils-matin ?
Dans cet appartement de rêve traversé par le soleil de part et d’autre,
vieilleries inestimables et infâmes icônes contemporaines
se mélangent ; je parie en ce matin où tout,
absolument tout, m’émerveille,
des câbles envahissant les greniers remplis
de planches à dessin
à l’ascenseur en marche par l’opération
du saint esprit de ses usagers,
que jamais personne ne pourra y produire
autant d’amour que ma famille y a produit d’argent
à moins que l’industrie du porno l’investisse pour perpétuer
la tradition devenue millénaire consistant à imposer au régime
de l’amour celui de l’argent.
Des fenêtres bordées de plantes et cactus, mon regard se disperse,
balloté entre d’excroissants espaces vitaux construits en bois
au-dessus d’habitations en tout genre et des Geländenwagen blanches,
Mercedes de préférence, car ici comme partout au monde
la marque à l’étoile est symptomatique
de notre époque politico-économique.
A table aussi mes repères sont brouillés :
pots de yaourts, mûres, myrtilles, cassis et Bounty
se disputent mes envies
le temps d’apprendre que Madonna, venue honorer ces fans de Sofia,
a perdu connaissance à deux reprises il y a quelques jours
lors d’un concert au stade Vasil Levski
où bientôt se jouera le derby Lokomotiv vs. CSKA
dans une ville quadrillée par la police.
3.1.2.
Côte à côte, en plein centre de jungle Sofia
aux trottoirs souvent défoncés,
j’ai découvert résumés deux mille ans d’histoire :
une banque commerciale et une ancienne église clandestine
aménagée en sous-sol.
Pénétrer la deuxième est, en 2009, beaucoup plus facile
même si le quidam peut toujours courir avant
d’accéder à leurs chambres fortes.
Inutile de désespérer
tant leurs temples respectifs, sacrés, sont vides
et les crédos de leurs fans repris à la Françaises des jeux :
« Une chance donnée c’est une chance de gagner. »
S’il s’agit de gagner je veux bien jouer
et miser mon existence entière
sur la multiplication des pains,
la transformation de mercure en argent,
aujourd’hui, maintenant, à la seule échelle qui vaille :
nous serons bientôt neuf milliards.