Fabrikasharia - Antoine Dufeu
 [un écho ici, et ici]

Chants de construction

Deuxième volume : Triomphes et défaites

 

SAISON 4. ESQUISSES D’UN JE (EXTRAITS)

 


Je m’appelle Platon.
Je suis Platon.

J’ai inventé Socrate
et Socrate m’a inventé.

Je suis Platon
et j’ai été esclave.
J’ai été libre et esclave
toujours libre,
parfois esclave.

Je suis Platon et
j’ai joué des concepts et métaphores :
que chacun en joue autant !
Je suis Platon
et aime aux points où j’ai aimé,
à ceux où je me suis battu
pour la liberté et l’égalité.

Je suis Platon ;
je change ou ne change plus.

 

 

_

 

Je suis et vis dans des mondes
aussi admirables
que n’importe quels autres.
J’aurais aimé vivre
l’époque de l’Homme de Néandertal
cheminée sur cheminée,
boîte de conserve contre décapsuleur,
ordinateur gonflé aux ondes télépathiques.

Je suis un homme
à cheval sur
le XXe et le XXIe siècle.

Je vis dans un pays :
la France.
J’aurais pu vivre
partout
ailleurs
sauf que je vis là,
en cette époque-ci.
Je vais et je viens.

Du travail, j’en ai :
mal payé, je suis exploité ;
il est absolument faux
que je puisse exercer
mon existence
comme je l’entends.

De l’amour ?
Enfin existant,
à 2
chaque jour
magnifique,
jouissif et multiple,
tel qu’un amour de tout temps :
je le tiens !
je ne vais pas le lâcher !

Une politique émancipatrice ?
Inutile de tourner
le couteau dans une plaie béante.

Une éthique ?
Je produis nettement plus
que je ne consomme,
démystifiant la moyenne
des morales matérialistes
jusqu’à aujourd’hui.
Je m’honore parfois de cette
simple et seule autonomie-là.
Je sais qu’il me faut commencer
et conçois mon être économique.

Je viens tout juste de naître.

 

 

_

 

Si une partie des êtres humains
s’emmerde
au lit de ses espoirs battus,
éteints les uns après les autres
jour après jour,
profondément affectée
par un demi sommeil enthuné ;
si les êtres humains
se satisfont du bourdonnement têtu
des rumeurs orchestrées
ou des diktats politiques
alors je suis autoproclamé
inhumain,
intégralement inhumain
de chaque zéro à
autant d’infinis requis
pour me différencier enfin
de la masse des actions monnayées
sans liberté.


Si les êtres humains
s’ennuient ensemble,
si certains ne supportent        pas les femmes
pas les hommes
pas les noirs
pas les enfants adoptés
pas les etc.
alors je ne suis pas humain, je suis inhumain,
je suis celui qui est humain contre les inhumains,
je suis celui qui d’un nous fait un je
et d’un je un nous
car nous sommes plein,
des milles et des cents,
en réalité des milliards
à en avoir assez,
marre,
basta,
prêts à coopérer
prêts à accepter et embrasser
nos différences
au quotidien de leurs joies et de leurs peines
au firmament des exceptions et des répétitions,
au fritage des luttes et des extases,
au multiplexage des récupérations et des recyclages,
de but en blanc.


Nous sommes partout dans le monde,
nous sommes du monde entier.

 

 

_

 

SAMEDI 4 FEVRIER 2006, IL EST 17H FRAPPANTES

Voilà ce qu’il y a et
Voilà ce qui se passe :
J’ai peur. J’ai peur de
Ce monde qui s’emballe
Ce seul monde-là, hagard et insouciant,
Il devient fou de haine, de haine,
De mépris et de dédain
A nous entraîner tous,
Les uns avec les autres, les uns ou les autres,
Les uns comme les autres, tous
Autant que nous sommes,
Dans son délire guerrier.
S’il s’agit de se battre
Nous choisirons notre camp
Portés par de grandes et belles idées.

 

 

_

 

C’est à même la rue,
dans les bars
ou sur quelque piste de danse,
schèmes de l’anonymat,
à la merci
des tout qui se prennent
pour
du rien inaccessible
que je flingue
trois ou quatre neurones
plus vite que de coutume
mais certainement pas
sur les scènes demeurées en lieu et place
des situations affligeantes,
garantes de l’ordre du moment.

Quelques chants de lutte
finiront bien par renaître
de nos cendres tourmentées.

 

 

_

 

Mon temps est de production,
de consommation et d’accumulation,
d’asservissement et de coupes sombres.
Mais mon temps est aussi de poésie,
d’émancipation et de lumières,
de singularités multiples,
à peine éveillées.
Mon temps est de présent et de demain ;
mon temps présent poésie.

 

 

_

 

??? est alternativement
L’ATONIE DU MONDE
et
LA TORPEUR DES MONDES,

toutes deux quasi parfaites,
vivaces et tenaces.

Interpellée par LE CIEL constatant sa solitude dépressive,
??? manifeste
un sursaut d’orgueil.

— Un jour l’espace mental deviendra celui
d’une humanité en marche
aussi vaste que possible
aussi vaste qu’effectif
aussi vaste qu’imaginable
puisant aux sources de l’infini banalisé
la motivation de ses puissances renouvelées
immortelles et inépuisables.

Un jour l’espace mental deviendra celui
d’une humanité en marche
aussi incommensurable
à l’état du monde actuel
que le sont les êtres humains à celui
de leur représentativité politique
abandonnée aux mains de nouveaux privilégiés
entièrement séparés des peuples.

 

 

_

 

Désormais, plus rien
ne m’est donné.
Désormais, je n’ai plus aucun
rapport aux mondes
prédéterminé.

L’univers existe et
je trouve les moyens de me réjouir
de mon existence concomitante.
Je le sais : l’un de nous deux
pourrait  ne plus exister
n’avoir jamais existé.

Désormais, la joie
qu’il y ait
quelque chose
plutôt que rien,
quelque chose en particulier,
m’est totalement et définitivement
étrangère.

Désormais nous serons
aussi présents que vivants
sans amour qu’avec amour,
sans univers qu’avec univers,
sans sujet qu’avec sujet,
sans rien qu’avec rien,
et ainsi de suite.

Désormais nous forgeons
notre propre connaissance
des mondes
dans lesquels nous existons
sans aucun doute.

Antoine Dufeu - Paris - 4 Juillet 2009
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