NOUS N’ÉTIONS RIEN qui
pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air
ocreux ni tout à fait serein l’odeur
noire des rêves éparpillés doucement nos mains doucement
frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun
nom volontaires aux silences si étroits comme si
les murs les muscles les
syllabes comme si nous avions soudain choisi quel froid circule dans les vertèbres quelle lumière soudain
branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies
si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns
contre les autres reste que nous prenions
nos rires pour de l’acide de minces filets d’orgueil à nos squelettes
pendus.
NOUS N’ÉTIONS RIEN glissant au-dessus
des cimetières parcourant la planète et son disque électrique métal silex sa face soudain changée soudain
mouvement nous étions
mobilité circulation vitesse et néons
qui vibrent sous les ongles sous les paupières moteurs rouages huile graisse carburant un assemblage de muscles tendons os cartilages articulations
parlant la langue du côté où
nous marchions en compagnie des morts le sang vibrant collé
au sommeil verticale notre circonférence vertical le corps
indéchiffrable vacillant dans le vent déployé ainsi qu’une
perte arrachant de la force à l’inerte complices peut-être d’un jour
nouveau perchés haut hors
de toute crainte ignorant
quand cela commença.
NOUS N’ÉTIONS RIEN c’était
il y a longtemps nous gardions chaque os
pour l’avenir faisions métier
d’ignorance dos ployé sous le poids de l’histoire vêtus de sang tourbeux caillots
d’argile nous sauvages oui astres plus que transparents avions appris à faire danser
nos dépouilles ne prêtant que notre ombre agrippée
à l’air sans le savoir en équilibre sur
un autre versant du temps disparaissant à l’angle du ciel aveugle jours après
jours aveugles plus lucides d’avoir un oeil en trop nous chantions attentifs
à la trace des dieux enfuis mais pour
qui pour quel peuple animal bêtes non fictives meutes menées
à l’équarrissage dépecées
proies toujours
en ligne de mire et dans la nuit
du monde nous disions le sacré.
NOUS N’ÉTIONS RIEN l’espace avait fui
nos parages nous riches d’un savoir
accablé tenions registre des dates portions cicatrice
des événements tatoués sur notre
tatouée notre mémoire nous n’avions qu’à
bégayer bégayer sans cesse pour parler de notre temps les mots quelque part avaient rompu
la digue il ne restait que quelques consonnes des sédiments narratifs limons essaim de formes surfaces
effacées et nous inéluctables inouïs cherchant dans la trame des siècles un avenir
possible noyés engloutis dans l’idiome emportés par la houle échouant sur la rive d’une
rencontre peut-être à bout de
souffle se taire pour sortir du silence se taire endurer
la désorientation de l’époque
dire cela dire
la cécité toujours pareille articuler en un balbutiement quels noms quels mots pour quels morts et nommer quel
désastre un naufrage une farce peut-être
l’unique assignation
:
penser et panser.
NOUS N’ÉTIONS RIEN il y avait
de la terre en nous et nous
creusions creusions dressant nos volontés comme à l’assaut
de quelle falaise quelle enceinte quelle cime au
hasard n’obéissant à aucune loi aucun ordre nous enfantions
des bombes franchissions des portes allant de seuil en
seuil en travers de la poussée du temps qui nous porte infailliblement
à l’échéance
n’étant que des hommes dépouillés
de ce que nous possédons encore de destin nous arpentons
les terres étrangères couverts
de nuit où allons-nous
nul ne le sait mais
comme il fait sombre.
NOS GESTES ÉTAIENT DE PIERRE nous avions appris
nos douleurs par coeur notre espoir tournait tournait où
sommes-nous que sommes-nous
devenus maintenant peut-être
eut-il fallut plier l’échine l’époque est à son comble la guerre
guette mais nous sommes inlassablement sur la piste de ce que nous supposons être
habiter le présent
nous remplissons de notre légère existence les objets que nous touchons mais nous ne savons pas
ne savons pas quel territoire
défricher quel horizon
donner à nos espoirs.
NOUS ÉCRIVIONS sur des murs
de prisons parlions à travers les canalisations à d’autres comme nous
incarcérés
vint une parole un regard vint
à travers la nuit vint
et voulut luire
luire rien n’est rien n’est
perdu saisissant l’insaisissable nous bâtissons d’écume lumineuse ce qui
demeure ce qui survient toujours comme un
événement nous adressons aux morts des saluts amicaux d’un geste
tendre nous les enveloppons de paroles
réconfortantes ne sommes-nous pas égaux debout sous un même gibet étrangers cependant les uns
aux autres portant fardeau
de silence.
NOUS ÉTIONS VAPEURS devenues
figures dans la lumière à chaque bouchée du visible une invisible
bouchée nous était donnée avec chaque vêtement visible un invisible
vêtement tout est chute nous
tombons dans la poussière la boue flocons légers copeaux fragments nous tombons et nous
relevons nous tombons toujours plus loin jusqu’aux étoiles et
nous relevons encore c’est ainsi que nous vivons en guerre
contre la guerre nous étions nous sommes cibles prenant d’autres pour
cible nos bouches crachent pierrailles et gravats il nous faut
fuir les incarcérations fuir
les éloquences frelatées
nulle défaite n’est
possible car
jamais nous n’avons désiré vaincre.
NOUS SOMMES ALLÉS sommes
allés au devant de nous-mêmes ne craignant ni la fatigue ni
les épreuves nous cherchons asile pour nos exils intérieurs des replis
stratégiques traversant des nuits plus nocturnes que la nuit tel
qui marche et déploie son pas nous avons vu
les usines désaffectées vu
les autoroutes en friches vu
les industries pétrochimiques usines à gaz centrales électriques réacteurs nucléaires vu
la domestication des êtres le contrôle des flux migratoires le bitume
brûle nos semelles respirer notre seule vertu respirer non pas
un renoncement respirer
sans heurts sans déchirement du temps certains
attendaient la promesse d’un parler
insoupçonné mais personne jamais
n’est venue personne
n’a entendu l’appel.
LES TORTIONNAIRES OUVRAIENT des plaies
au fond des océans nous n’entendions
pas le cri fermé dans les mâchoires déchiquetées des poissons ni
les soleils décapités nous jetions à terre leur noble sang il n’y avait plus de nom pour ce qui poussait maintenant
la verdure nous l’aimons exubérante et grasse les animaux
couleur de mousse même les pierres nous les serrons dans nos bras comment
sera l’amour à la fin des nuits à la clarté des astres devenus
transparents sera-t-il délivré inscrit dans le signe stellaire des constellations de paroles qui
s’envolent et disparaissent
disparaissent dans le silence lui-même volant et
disparaissant et son bruit se résorbe et
se mue en pierre.
ÉTRANGERS DANS LA LANGUE écartelés
entre deux siècles les pieds au nord du futur nous savons
le goût du désastre où quelque chose de stellaire a disparu puisqu’on ne peut arrêter
la chute des astres et sur nos lèvres la cendre qui fut s’élevant des hautes cheminées où désormais s’étend
notre responsabilité la mort
nous fauche-t-elle dans l’indifférence ou bien
en nous parlant doucement avec autant d’amour
qu’elle peut expliquant ce qu’elle fait
et
pourquoi elle le fait et se dérobe-t-elle
la terre sous nos pieds faute
de l’avoir aimée.
NOS CORPS sont devenus
syntaxe il nous faut déchiffrer la physique
des rêves notre conscience est-elle autre chose
qu’une banderole de brume et de silence pendant
les grandes poussées de gel un portrait de sang sur la neige qui fond à la lumière
du jour ne sommes-nous pas
éleveurs de poussière gardiens d’une parole fidèle contagieuse et
qui prolifère n’avons-nous pas
vive et tenace la passion du réel
imprenable est notre forteresse longtemps
nous avons lutté longtemps
nous sommes restés debout guettant
dans le mugissement de la masse poreuse du temps
le bruit qu’il fait et
comme il se déchaîne comme il
déploie sa science.
AFFAMÉS D’UN AMOUR vrai mais
trop beau nous sommes allés au bout de la réalité rampant
en compétition avec la pourriture suivant
le long chemin qui conduit dans le noir
libres de toute
prière couvés par le soleil nous nous sommes réfugiés dans la tanière du sommeil nos
visages s’évaporaient il nous fallait
traquer les signes traquer
revolver au poing les fossoyeurs du sens produire
des formules inédites frottant
nos grammaires comme pour y mettre feu élaborant des fictions indéchiffrables frayant un passage entre
silence et discours saisis
d’un haut frisson au seuil de l’événement
inadvenu.
NOUS CONTEMPLONS dans un éblouissement
le spectacle du temps le corps
de l’histoire devenu mobile sous nos yeux les
spectres immenses que les siècles ont laissé dans l’espace et ce sont
des nuées la poussière remuée des enfers un abîme ouvert entre les univers une vibration
de photons et d’atomes qui tourbillonnent et se matérialisent dans un rayon de soleil
où est conservé ce qui a disparu derrière le temps
où sont les cris désespérés que poussent les torturés avec des voix d’enfants
où sont les cendres de ceux
qu’on a brûlé en masse les porteurs de secrets
où sont-ils ceux
qui n’ont pas été ensevelis ceux
qui n’ont pas été dénombrés les enfants
non-nés que nous avons aimés les fils
invisibles nous laisseront-ils nous reposer dans nos blessures
ressentir un tourment
semblable à de la joie.
LONGUE FUT L’ATTENTE en ces temps
de détresse il y avait tant de haine en nous qu’on aurait pu la nommer
amour de nouveau
nous cherchons une vérité à hauteur d’homme une pensée
dangereuse et transformatrice du réel il nous faut
tout inventer jusqu’aux atomes trouver
un nouvel imaginaire des formes éblouissantes ajouter
des pays des mers différentes les changements de soleil des danses des chants de la musique des coups et
frappés de stupeur contempler
les paysages rêveurs dans les yeux des rescapés le ciel fatigué les arbres tuméfiés les roches bondissantes au visage regarder
ce qu’on ne voit pas avec nos yeux aveugles quand
une dernière fois la nuit rassemble
ses forces pour vaincre
la lumière.
, c’est ici toutefois que le dispositif se déploie, laissant s’épanouir dans la lumière accrue des paradigmes dont l’inflexion est aussi délicate que le trait d’une virgule. Ce que nous partageons là, quoi qu’il puisse advenir, ne disparaîtra pas. Peut-être même que le style
est superflu dans un semblable cas. C’est une énergie dont l’instabilité, parfois, entrave notre amplitude et il se pourrait bien qu’elle se déchire
sous l’effet conjugué de nos plasticités. Je connais tes désirs comme tu connais les miens. Pourquoi, dis-moi,
puisqu’il en va de même, ne pas laisser leur urgence réguler notre comportement ? Ce soir encore
je goûte avec plaisir des produits illicites. Il en est dont les propriétés sur mon cerveau stimulent
les facultés grammaticales ainsi que ma rigueur topologique. Il me vient une sorte de musicalité dont la cadence mineure vibre à mon oreille inexplicablement. Sa mélodie est alors
requise par une série singulière d’injonctions qui la somme de révéler sa fréquence. Elle semble avoir un rythme qu’en d’autres circonstances
je ne lui connais pas. Je ne puis cependant m’y fier aveuglément et c’est au fond très peu que je concède à l’organisation
de son vocabulaire. Ce ne sont pas des voix
que j’entends mais bien le bruit du temps
qui soudain s’organise et pour autant que je sois réceptif, j’en perçois les violentes secousses comme des coups portés à mon intégrité. Et même
s’il peut m’arriver d’user de tels artifices, je reste vigilant et jamais je n’oublie quelle est leur vocation première. Mais je dois bien admettre qu’en terme de syntaxe,
l’afflux se fait plus librement
et le texte s’écoule
ainsi qu’un flot tranquille.
Comment veux-tu
que je n’insiste pas
quand dans un tel moment les proportions s’inversent et plus rien ne retient
le mouvement obstiné de la phrase ? La méthode a du bon quoiqu’elle comporte un indéniable risque de perte de contrôle et que je sois propulsé à très grande vitesse sur des corniches à pic où le vertige
en permanence menace de me faire culbuter. Dans une telle pratique, le physique aussi est à contribution. Il faut de l’endurance et presque
une condition d’athlète pour ne pas s’épuiser au-delà de ce que le corps est en mesure de tolérer. Tout cela je le sais et c’est pourquoi parfois
je me délasse à la façon d’un végétal après le passage tumultueux d’un orage. De la sorte, je reprends
force et ma vitalité s’amorce,
prête à recommencer le cycle et à prendre à nouveau la direction de crêtes d’où la vue dégagée offre à mes sens un panorama inédit. Mais lorsque tu caresses mon torse essoufflé ou lorsque tu m’enlaces, il se passe
un phénomène d’une telle intensité que je suis soulevé et je prends mon envol
vers des espaces situés bien au-delà du sol. Une fois de plus, c’est dans la descente que guette la menace et qu’avec prudence il faut que je manœuvre. De même, j’en ai la conviction, nos rêves se rejoignent la nuit
en un endroit secret et s’entretiennent en silence avant de s’effacer et de céder la place à d’autres accointances. Cependant ces élans
me paraissent souvent aussi inconsistants qu’une bulle
glissant sur la surface d’une onde agitée par la houle. Je voudrais leur donner un tour plus vigoureux, mais je bute et trébuche
et les mots que je t’adresse alors se dissolvent
dans l’air. Toutefois, mon esprit alerté par de soudaines décharges s’emballe et succombe à la violence
de pareils transports, tentant de saisir au passage de brèves intuitions dans une langue inédite et dotée d’un moteur
cylindrique à combustion interne. Par une suite chaotique d’accélération et de freinages, elle parvient au séjour précaire où la parole se matérialise en silence. Quel est cet impérieux besoin de rechercher toujours
dans les sphères lointaines une invisible trace de notre altérité ? Comme si désespérément nous tentions de flirter avec d’autres
espèces et de les rassembler sous le soleil abstrait de notre convoitise. N’est-ce là qu’un effet de notre démesure ou n’est-ce pas plutôt de nous-mêmes que nous sommes en quête ? C’est peut-être
que le lointain se tient dans la proximité et que ce qui diffère n’est souvent qu’un semblable qu’on n’identifie pas. Ainsi nos appareils dans leur complexité n’ont d’autre faculté que d’explorer le même. Au ciel
je ne vois rien qu’un bleu irréfutable ou bien le noir épais de la nuit qui s’allume. Point de grâce au-delà ni même le reflet d’un espoir insensé. Mais je ne souhaite pas pour l’instant
prolonger l’hypothèse, ayant le sentiment diffus de m’engager sur une voie qui n’offre pas d’issue. Trop souvent nous courrons après de vieilles lunes et des songes faciles et soudain
nous voilà dans l’impasse, buttant contre une invisible paroi. Car il ne suffit pas de tendre à exposer les faits pour trouver aussitôt matière
à les consolider. Ce soir,
je doute même de leur réalité et je peine à maintenir le cap que je m’étais fixé. Mais cela aussi