Destination para
dis
Les oiseaux parlent entre eux
comme des algorithmes
mets-toi
à l'aise
plage
ou neige ou
allonge-toi
écran ultra-plat :
nouveau visage
plus moderne
n'importe où le corps mais pas
là
où tu es bien
le soleil la chair
permalink éternels, oui :
textes
clique ici
1.
C'est ton tour un instant
de devenir une ombre
Ce sont des choses qui arrivent :
l'amenuisement
le froid
le contour amoindri des choses
Tout corps sur orbite
un jour s'obscurcit
inévitablement
2.
Mais virer fantôme nécessite
quelques ajustements
N'apparaît pas
qui veut
Entendre des voix ne s'improvise pas
Sentir son corps soudain flou s'envelopper de brouillard
Entendre en stéréo cent voix anciennes
Redire l'écho des morts pour d'autres morts en sursis
n'est pas à la portée du premier venu
loin de là
3.
Quelques conseils en vue d'un effondrement réussi
Se préparer au vide intense
aux mains qui traversent l'écran de peau
à la confusion des langues
Désactiver les fonctions sensorielles
dès l'aube
Garder le crâne immobile :
os zygomatiques au repos
zones orbitaires bien visibles
canal lacrymo-nasal à sec
Répéter la position d'attaque
toutes les nuits s'il le faut
(gorge serrée, gémissement prêt)
Refuser l'entrée aux voix chaleureuses
aux sanglots
aux prières
aux injonctions
Saper la parole partout
où elle prolifère
produit du refrain
cherche le contact
S'envelopper le squelette
de bruit moderne
Changer de fréquence
autant de fois que nécessaire
Habiter le monologue
comme un suaire
Renoncer au mégaphone
pour toujours
Sécher ses larmes
4.
Avis aux esprits frappeurs
Porter son corps vers l'avant
mains tendues
l'air impassible
facile
S'éclipser quand l'harmonie
ou le raisonnement
se font trop pressants
facile
Réapparaître d'un cri
lorsque l'esprit se vide
et s'affole
facile
Mais imagine-toi sans peau
Imagine-toi courir sans peau
sans épaisseur sans joie
Esprit réduit carcasse
caisse de résonance percée
La voix tombant comme peau morte
devenant rumeur
objet d'épouvante
et bien sûr
personne pour te téléphoner
ou te prendre en photo
songes-y
5.
Sur la nature des ombres et leur désœuvrement
Dans le cadre
il y a raisonnement
Grand raisonnement sans contours
qu'il faut apprendre à maîtriser
Hors-cadre : rien
une brume noire qui simplement disperse
(mémoire, visages, calendrier)
La question : es-tu dans le cadre ?
Es-tu prêt à tâter l'air autour ?
Sais-tu danser ?
PS : Quelle est
la résolution photographique
de ce problème ?
6.
Dernières précautions
Tout corps qui argumente s'assombrit
puis s'amenuise puis s'effiloche
rendant le retour à l'état normal
plus difficile
Le contour amoindri des choses
peut rendre nostalgique
Un détail idiot parfois
résume toute l'histoire
Les choses
(comme ton corps, ta position dans l'univers, les mots que tu répètes trop souvent, le vent dans ta bouche)
sont alors impossible
à raconter
pour Esther
1.
elle là
elle dedans
elle bientôt
bientôt elle
là bientôt
elle dehors pour bientôt
n'est pas encore, elle
n'est pas encore mais va venir
va venir elle
n'est pas encore
elle est
n'est pas encore
là
va venir, sera elle
n'est pas encore mais va, mais va
mais n'est pas encore, mais va
va, va venir, il attend
va, va venir, elle attend
ils attendent que elle
elle là
dedans
vienne
soit là
2.
elle va
est en chemin
elle va vers là
où l'attend
quoi – la vie
quoi – un mouvement
quoi – ce mouvement de là
vers là
ce mouvement
qui raconte
comment sera
le projette
comment sera
la raconte et dit
dedans vers dehors
dedans des choses
dedans des choses
avant dedans vers
dehors encore
à peine mais beaucoup
ce mouvement parle
ce mouvement dit
dehors
énorme dehors des choses
le dit
la dit
dit des choses
et pour toi dedans c'est comment ?
3.
dedans c'est lent
pour toi dans cet énorme dehors
dedans c'est dedans c'est
dedans c'est dense et lent
un avec
aller avec
intermittent
soi avec soi
soi contre soi
soi avec celle qui va
dedans c'est
qui c'est
c'est
c'est
c'est quoi
la voix
c'est quoi ma voix
c'est quoi
c'est quoi ce lien
ma voix ce lien là
de moi vers toi
un fil ?
c'est quoi
4.
ils attendent, dehors
s'imaginent
pensent que peut-être
ou que pas
quand elle sera là
des images
à peine
qui passent
transitent
cherchent ce qui sera
comment sera
il dedans songe
cherche
demande
quoi
de lui dedans-dedans
vers elle
quels traits
ils ont déjà dedans
des refrains de là
refrains de là où elle
où elle bouge
où elle répond
où elle dit là
c'est moi :
étendre un bras
étendre une jambe
replier l'avant vers l'après
5.
est déjà elle
avec dedans
des fragments :
du dehors
par fragments
de l'avant
par fragments
est déjà dedans
ce soi
qui ne sait pas
déjà
cette liaison :
elle-dedans-elle
avec
elle-dedans-nous
Un corps. Puis.
Danger. C'est écrit sur l'écran.
Tu regardes. Ce n'est pas de la peur. De la méfiance, non.
Fixer. Une forme d'attente indéfinie. D'une page effacer la précédente : d'un geste disparaître au présent.
Il y a des photos d'illustration. Partout. En cliquant, on peut voir l'agrandissement d'une tâche de sang. Un sourire. Un visage comme une statue. D'autres effacés. Les images s'annulent. Tu cherches encore.
On peut voir le ciel, les fumées grises qui l'obscurcissent. L'avenue le soir et les silhouettes qui passent paisiblement. On peut voir un appartement vide au plafond crevé, des yeux absents, un couple qui se dispute au ralenti. Tu cliques là. Puis là.
Le geste correspond au geste tu te répètes Tout est contenu dedans. Un corps qui passe sans être là. Une route au milieu du désert. Une femme qui monte les escaliers au ralenti. Maintenant les images sont des choses rapides, palpables. Tu commences à entendre à travers.
À travers toi Rien ne retient le temps. Le monde glisse à la surface. Un paysage abandonné pour longtemps. Maintenant, tu voudrais écrire directement sur l'écran : ICI, MAINTENANT. Trop de corps se bousculent. Se ressemblent. Ou disparaissent. Seul l'ordre des mots est précis. Le mouvement des mains. Seul l'ordre des choses est doux.
Le monde a des couleurs curieuses, Eurydice.
L'ordre des mots. L'ordre des choses. Leur décompte et leur destruction. Toujours, la même équation livre les mêmes résultats : un ensemble sujet-verbe-complément dont ne restent que des bribes de chair – amas organiques, poils collés à du sang, cheveux et salive. Peau. Visage évanoui. Aucun indice pour les ombres. Pas de preuves pour leur parler. Ton pseudonyme continue à clignoter sur l'écran, à côté d'une image que tu ne reconnais pas. Rien seulement des visages calmes fixés sur ton visage calme, des gestes saccadés par les heures d'immobilité, la main fébrile qui parfois fait coucou.
Coucou
Les murs n'ont plus de contours palpables. Le monde a des couleurs curieuses Il n'y a aucun bruit. Tu es là. Depuis longtemps. Tu t'appelles toi. Un phénomène comme un autre, le passage d'une seconde, d'une ligne de code. Bonjour toi. Un haussement d'épaules. Bonjour. Les traits te rappellent quelqu'un. Le chant se dissout en algèbre. Ctrl-Hello. Langage de fortune. Alt-Adieu. Quelqu'un. Coucou. Appuyer encore contre vide bruyant, dedans. Tu es là. Ce chant. Tu te retournes. Vide bruyant. Tu glisses hors du cadre. Eurydice.
(En écho à la revue matérielle numéro 2 - janvier 2012)
Suite à la proposition conjointe de la revue Ce qui secret et du festival Les Bruissonnantes de créer une lecture, j'ai choisi de prendre l'un des cahiers qui composent la revue matérielle n°2 comme une partition - en suivant l'ordre, l'agencement, la disposition des fragments juxtaposés. À chaque strate de texte une voix. À chaque voix une cassette. Disposés dans l'espace : quatre magnétophones qui se répondent ; dont les voix s'espacent, se répètent, se chevauchent et se mélangent. De l'une à l'autre se trament des échos, des ramifications. Rewind, fast forward, paroles rembobinées, ensemble-séparées, ouvrant à une infinie recomposition de la matière textuelle.
Avec les voix de Joris Lachaise, Sarah Aguilar, Olivier Brisson, Manon Brisson et Gilles Amalvi.
[Le festival Les Bruissonnantes a eu lieu à Toulouse, du 15 au 17 mars 2012.]