Du même au même - Pauline Gélédan & Yoann Moreau
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MOL(ÉCUL)AIRE



Le moléculaire ne devient jamais molaire, ou alors, tout contre lui, dans le détail et point par point. Si le miniscopique acquiert de l’amplitude, c’est à l’instant terrible-magnifique du cri de la jouissance, quand le rhizome du ciel-racine, du soi-différent et de l’instant-toujours se reforme dans le creux du grain moléculaire. Le désir, la copule et la prolifération contenus dans une semence. La poule et le coq, toute une espèce dans l’espace d’un œuf.


Karomil : Ta postérité deviendra nombreuse comme les étoiles du ciel.
Je : Et les étoiles du sol ?
K : Qu’elles palpitent dans la prunelle de l’Homme.



Le devenir molaire du moléculaire suppose un point de bascule, qui est aussi un point de rupture, un plan de transcendance doublé d'une insurrection (sur le plan de la volonté) et d'une érection (sur le plan du désir). Car le moléculaire est aveuglé par le molaire qui l’enveloppe et le domine. Une forme de vie n’est qu’une lampe dans la nuit, ne percevant du monde que quelques turbulents insectes.


K : Ainsi, certains soirs d’été, quand le moléculaire vient frapper à la vitre chaude et sensuelle du molaire, Psyché peut se parer des ailes de papillon.



C’est ainsi peut-être qu’il conviendrait de faire l’expérience de la forme sous écran du travail de Pauline Gélédan. Être attiré par cet objet comme si nous étions nous même à l’intérieur du vitré, comme si cette chose fixe ou mouvante (c’est selon) était la palpitation de ce qui se dessine.

Car tout reste à faire.

Faire défiler l’image, les images, l’imaginaire, l’inimaginaire. Faire en sorte que le numérique se fasse numéraire, que le molaire et le moléculaire hésitent l’un en l’autre. Faire l’effort de sentir la vitre en travers, et passer outre le sentiment du préfabriqué. Réchauffer ce micro-monde tellement refroidit qu’il pourrait paraître un produit fini. Se souvenir qu’il fut performance et qu’il n’a pas cessé. Ces points sont aussi l’expression d’un mouvement dans la sphère du désir, de la copule et de la prolifération.

« Dessiner des points », dit-elle.

Le miniscopique ne peut surgir sans effraction. Cette minutieuse rêverie qui tissent entre eux les jours accompagne et structure le flottement ordinaire de l’attention. Chaque point diffuse l’instant d’un ancrage au Molaire. Chaque point peut être vu comme un choc papillonaire. Intranquille mais persévérant, éphémère lieu de l’absence à ce qui nous dépasse.

Un point, même un ensemble de points, ne déroule pas de fil (de pensée), de continuité (d’action), de ligne (de conduite). Pourtant, d’un point à l’autre, quelque chose se maintient. À la manière de ces rêveries partagées à reconnaître des formes dans les nuages, passant joyeusement des baleines aux dragons et du coq à l’âme. Au gré du vent et des imaginaires. Sans les étoiles du ciel, parce qu’il y a des nuages. Mais avec les étoiles du sol, parce qu’il y a des mirages.

Prière de faire. Disperser sa semence pour que ça prolifère, du molaire au Moléculaire. Semer les grains de son passage en se laissant traverser par cette part de hasard et d’indifférence qui règne « au fond de l’esprit ». Comme un exercice de relaxation.


Je : Ça me calme, ça m’apaise de faire des points.
K : Les yeux hors des marges sableuses, en flottement hors de toute signification… Attention !!!
Je : C’est comme des points de suspension.



Suspension de la signification. Ces points ne portent pas tant à la constitution d’une territorialisation de nos paysages intérieurs, ou à une deterritorialisation de la matérialité – dense et dure – de nos perceptions quotidiennes. Ils suscitent plutôt l’expérience de la formation des images, l’impression de sentir notre imaginaire à l’œuvre. In vivo.

Ils n’invitent pas à être ailleurs, ni à aller autre part. Expression du non mécanique, ce n’est pas mécaniquement qu’il convient de les mettre en mouvement. Ce qu’aucune machine ne saurait accomplir.

Prière de faire ce qu’aucune machine ne saurait accomplir.

Prière de donner postérité à des machine-désirantes. Prendre soin de ce qui palpite dans la nuit formée par le contact entre la pulpe des doigts et ce que la main palpe. Dans cette obscur lieu rougeoyant où se dresse et se caresse le rapport chair-Terre. Ce haut lieu de l’intensité ressentie. Immanence du doigt, transcendance de ce qui se tient dans la machinerie. Faire en sorte que cela ne devienne pas la machination d'un rapport humains-machins.


K : Tu ne perçois qu’un halo du possible pris dans la traîne de ton existence.
Je : Et alors ?
K : En se laissant traverser par des flux, tu n’es que l’opérateur impersonnel du Molaire.
Je : Moi ?! Bein tiens !!!



L’accès à de nouveaux usages du monde suppose une culture de l’attention. La tournure affective prend l’ordinaire à bras le corps pour en faire un événement solitaire et non partagé, vécu dans l’intimité du lieu où les possibles foisonnent. Entre la pulpe du doigt et la matière qu’il effleure.

Le molaire est au moléculaire ce qu’une pomme est à sa configuration quantique, là où foisonnent les possibles et les puissances d’agir. Ces points de suspension, sans intention et sans langage, raréfient l’intensité sémantique. À la manière des planches de Rorschach, ils permettent de jeter un œil sur son écosystème onirique, d’observer l’interpénétration du cosmos Molaire et du chaos moléculaire. Chaosmose, dit-il.

Et toute cette vie qui s’amasse sous les lampes, les soirs d’été.

Toute cette vie insectueuse qui se rassemble pour faire vrombir encore, tout contre la vitre, la puissance de sentir.





_ On peut également regarder les dessins de Pauline Gélédan au format pdf en cliquant ici — choisir : présentation / page unique, et faire défiler doucement.

 

 

 

 

En écho aux pages 325 à 352 de l'Anti-Œdipe - Pauline Gélédan & Yoann Moreau - 25 Janvier 2018
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