Mesnil Joëlle

Dans la terre - Joëlle Mesnil
 

J’avais beau creuser la terre avec mes mains, je n’ai rien trouvé.
J’ai regardé la prairie autour de moi. Il n’y avait pas de doute.
C’était là.
Sauf qu’il n’y avait rien.
Je n’arrivais pas à y croire.
Je les avais enfouies au pied d’un buisson à deux mètres d’un pommier deux ou trois semaines avant la visite et je ne les retrouvais plus.
Ce n’était pas possible.
Les trois pommes avaient disparu.

J’étais hébétée.
Dès son arrivée, je l’avais tiré par la manche sans rien dire et il m’avait suivie jusque là. J’étais sûre de mon effet. Il ne savait pas ce qui allait se passer et quand je me suis accroupie, j’ai imaginé sa tête quand je me relèverais pour les lui offrir. J’avais bien préparé mon exhumation. J’avais un secret et il serait le seul à le partager. Plus encore : ce secret, ce n’était que pour le lui révéler que je l’avais inventé .
Là-bas, je n’avais rien à moi et soudain l’idée m’était venue : la terre !
La terre était à tout le monde et moi, j’y enfouirais un trésor que je pourrais déterrer au moment voulu.
Ce n’était pas seulement des pommes. C’était vraiment quelque chose d’extraordinaire dont il  saurait sûrement apprécier la valeur. Quelque chose qui n’avait pas de nom.
Forcément, il n’avait jamais vu ça. Les pommes, oui bien sûr, il connaissait, puisque comme moi, il était né en Normandie et qu’il y avait passé toute son enfance et une bonne partie de sa vie d’adulte. Mais pas des pommes attachées par un fil de laine rouge.
C’était un de mes jeux préférés : j’attachais à la queue d’une pomme un fil d’une vingtaine de centimètres de long et je faisais tourner ma pomme frénétiquement jusqu’à décrire dans l’air un grand cercle rouge.
Celles que j’allais déterrer, je les ferais tourner devant lui les unes après les autres et il ne saurait même pas quoi dire parce que ce qu’il verrait alors dépasserait tout ce qu’il avait pu imaginer sa vie entière.

Mon père attendait debout et soudain la prairie est morte.
Il n’y avait plus qu’une image parfaitement plate. L’herbe s’était figée. Les arbres étaient plus immobiles qu’ils n’auraient dû l’être. Le vent était tombé. Les oiseaux avaient cessé de chanter. On entendit un silence d’avant l’orage.
Ma déception fit tomber mes bras. Je regardais tout autour de moi, sans savoir où m’arrêter.
Je ne pouvais pas accepter.
Je fis l’hypothèse d’une erreur. J’avais dû me tromper de buisson. Je cherchai un autre endroit à creuser mais je ne trouvai aucun indice. La terre n’avait jamais été remuée, ce ne pouvait pas être là. Et mon hypothèse était juste rationnelle. Je n’y croyais pas moi-même.
Mon inquiétude ne fit que croître.
Et là où j’avais creusé en premier ? La terre n’ était-elle pas aussi intacte, aussi fermée depuis toujours qu’ici ?
Je n’avais tout de même pas inventé !
Je voulais lui prouver que ces pommes avaient existé. Que je les avais enterrées pour lui.
Je ne trouvais rien de convaincant.
Je sentis pas loin une folie.
Je ne pouvais plus bouger mais je me mis intérieurement dans tous mes états.
Où étaient-elles passées ?
Elles étaient forcément quelque part.
Elles occupaient nécessairement  une place dans le monde. Des pommes ne disparaissent pas comme ça quand on les enterre. Si un animal les avait mangées, il serait resté quelque chose de son passage. Un désordre dans la terre. Un peu de fouillis. Quelque chose de visible. Un bout de laine rouge.
Je voulu croire au miracle et je me remis à creuser n’importe où et n’importe comment avec l’acharnement d’une bête. Je m’abîmais les doigts.
Il crû m’apaiser en m’assurant que cela n’avait aucune importance.
Et cela eut pour effet de décupler ma rage à vouloir le convaincre.
Non seulement ces pommes, je les avais réellement enterrées mais un tel geste était à coup sûr le plus juste et le plus lourd de sens qu’il avait été donné à mes six ans d’existence d’accomplir.

J’ai oublié comment se termina cette journée de visite.
Je sais seulement que cette année là, plusieurs évènements eurent lieux qui me confrontèrent d’une façon ou d’une autre à une incompréhensible disparition.
 

Joëlle Mesnil - Paris - 14 février 2009
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