Résolution - Gilles Amalvi
 

1.
C'est ton tour un instant
de devenir une ombre

Ce sont des choses qui arrivent :
l'amenuisement
le froid
le contour amoindri des choses

Tout corps sur orbite
un jour s'obscurcit

inévitablement

 

2.
Mais virer fantôme nécessite
quelques ajustements

N'apparaît pas
qui veut

Entendre des voix ne s'improvise pas

Sentir son corps soudain flou s'envelopper de brouillard
Entendre en stéréo cent voix anciennes
Redire l'écho des morts pour d'autres morts en sursis
n'est pas à la portée du premier venu

loin de là

 

3.
Quelques conseils en vue d'un effondrement réussi

Se préparer au vide intense
aux mains qui traversent l'écran de peau
à la confusion des langues

Désactiver les fonctions sensorielles
dès l'aube

Garder le crâne immobile :
os zygomatiques au repos
zones orbitaires bien visibles
canal lacrymo-nasal à sec

Répéter la position d'attaque
toutes les nuits s'il le faut
(gorge serrée, gémissement prêt)

Refuser l'entrée aux voix chaleureuses
aux sanglots
aux prières
aux injonctions

Saper la parole partout
où elle prolifère
produit du refrain
cherche le contact

S'envelopper le squelette
de bruit moderne

Changer de fréquence
autant de fois que nécessaire

Habiter le monologue
comme un suaire

Renoncer au mégaphone
pour toujours

Sécher ses larmes

 

4.
Avis aux esprits frappeurs

Porter son corps vers l'avant
mains tendues
l'air impassible
facile

S'éclipser quand l'harmonie
ou le raisonnement
se font trop pressants
facile

Réapparaître d'un cri
lorsque l'esprit se vide
et s'affole
facile

Mais imagine-toi sans peau
Imagine-toi courir sans peau
sans épaisseur sans joie

Esprit réduit carcasse
caisse de résonance percée

La voix tombant comme peau morte
devenant rumeur
objet d'épouvante

et bien sûr
personne pour te téléphoner
ou te prendre en photo

songes-y

 

5.
Sur la nature des ombres et leur désœuvrement

Dans le cadre
il y a raisonnement

Grand raisonnement sans contours
qu'il faut apprendre à maîtriser

Hors-cadre : rien
une brume noire qui simplement disperse
(mémoire, visages, calendrier)

La question : es-tu dans le cadre ?
Es-tu prêt à tâter l'air autour ?
Sais-tu danser ?

PS : Quelle est
la résolution photographique
de ce problème ?

 

6.
Dernières précautions

Tout corps qui argumente s'assombrit
puis s'amenuise puis s'effiloche
rendant le retour à l'état normal
plus difficile

Le contour amoindri des choses
peut rendre nostalgique

Un détail idiot parfois
résume toute l'histoire

Les choses
(comme ton corps, ta position dans l'univers, les mots que tu répètes trop souvent, le vent dans ta bouche)
sont alors impossible
à raconter

Gilles Amalvi - Rennes - 7 Novembre 2010
Et toujours tu fais ça / et moi toujours je - Poup Perronno
 

 

 

 

Et toujours tu fais ça,
et toujours tu ramasses les cailloux,
et toujours je ramasse les paysages,
tu ramasses les résidus,
et toujours tu fais ça,
et toujours je fais ça,
c’est sur ton chemin, c’est là,
c’est sur mon chemin, c’est là
où je me trouve, où tu te trouves,
sur ton chemin,
et toujours tu fais ça,
tu marches, tu marches, et tu le vois,
et j’avance, j’avance et je le vois
et tu le prends, ta main se dirigeant vers l’objet que tu vois,
et je le prends, je prends le paysage que je vois et ta main le ramasse comme un objet trouvé retrouvé,
et je le garde comme un paysage trouvé, retrouvé,
et toujours les phrases te viennent comme ça, les mots que tu entends,
et moi
là où tu te trouves,
les mots que tu entends,
les paysages qui me regardent,
et ta main qui se tend, et mon regard qui se tend
le mouvement du corps vers,
le geste tu le trouves dans le mouvement du corps,
et à ce moment là, le monde tu l’entends,
et moi qu’est-ce que j’entends
tu entends le son des cloches,
tu entends,
et moi qu’est-ce que j’entends
tu entends le son des cloches,
qui indique que,
tu entends l’oiseau qui,
tu entends le moteur,
qui indiquent que le temps passe
et moi qu’est-ce que j’entends
tu entends le vent et la pensée, là, dans le paysage
et toi tu l’inventes, le geste, tu l’inventes le mouvement que chaque jour tu vas déposer
à l’endroit du paysage, chaque jour le geste à l’endroit du paysage
pour dire le présent
et moi est-ce que je l’entends le présent
pas mieux
pas mieux que le vent
je suis derrière la glace

Poup Perronno - Paris - 7 Novembre 2010
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