Marina,
Maintenant que je suis chez moi je t’écris.
Dehors il pleut. Je le vois grâce à la fenêtre au-dessus de mon ordinateur. C’est du double-vitrage. J’ai tiré les petits rideaux brodés. Ces temps-ci, j’habite une maison qui n’est pas la mienne. Elle ne m’appartient pas. Je n’en ai pas. Même si ce n’est pas la mienne, il reste un peu de place pour la faire à ma taille et à celle des autres occupants. Cette fenêtre, une poignée au centre afin de l’ouvrir, quatre espaces rectangulaires divisés par l’armature de la fenêtre donnant accès à ce qu’il se passe dehors, en dehors.
Dehors il pleut. La réalité à laquelle j’ai accès si je n’ouvre pas la fenêtre - pour mettre la tête hors, voir ce qu’il y a au-delà de la fenêtre (en dessous un toit en tôle et un chemin herbeux, des fleurs toutes petites qui se collent au mur), si aujourd’hui je n’ouvre pas la fenêtre la réalité à laquelle j’ai accès ressemble à un tableau impressionniste.
Malgré l’imprécision évidente des variations, j’ai la sensation très claire de ce qui est loin, la lumière s’imprégnant par touches. Je vois dehors. Demain il fera peut-être un temps meilleur et ma réalité ne subira, à cause de la fenêtre, aucune déformation. D’effets aussi intenses que les précédents.
Un jour aussi il y a eu du brouillard. On ne voyait pas le bout de la montagne en haut. Ni le ciel, ni les quelques maisons. J’ai vu. Je vois à travers ma fenêtre des spectres de réalité. Non pas la réalité et surtout pas maintenant que je te la décris. C’est pour ça que, là, je trouve ça un peu compliqué.
C’est très compliqué de communiquer quelque chose à quelqu’un. Les gestes, les mots, et l’intention qui porte le tout sont toujours sujets à déconstruction. La plupart du temps, ça ne fonctionne pas. La politesse nous engage malgré tout à répondre – même si on n’a pas compris.
A toujours avoir voulu axer la définition de la poésie ou de toute littérature sur la constitution d’un code langagier plus riche que celui de la communication, on a peut-être délaissé toute nécessité de clarté, clarté allant de l’art, sa formation, jusqu’à la qualité de l’adresse.
Tant pis, peut-être. C’est comme le vieux paletot de Rimbaud : c’est parce qu’il est abîmé qu’on voit les étoiles au travers.
Décrire une fenêtre et comment on voit. Cela demande peut-être plus que de « trouver une langue ». Envisager tous les trous que porte déjà une situation normale de communication.
C’est une certaine incompréhension ressentie parfois devant le texte de Deleuze & Guattari qui me fait t’écrire. On s’attarde souvent sur ce qu’on n’arrive pas à considérer d’emblée comme évident.
Maxime